22 - Les boucles de Guernes, Moisson et Bennecourt
Résumé
A l’aval de Mantes-la-Jolie, la Seine s’incurve en boucles successives jusqu’à la limite départementale et régionale que forme l’Epte. Ce faisant, elle met un grand pan de paysage fluvial à l’écart des grandes voies de circulation. Les longs coteaux incurvés, creusés par le fleuve, sont éclaircis par la craie mise à nue en pinacles. Ils ouvrent des vues géo-graphiques remarquables sur le grand paysage. La Seine et ses îles dessinent à l’inverse des paysages intimes, rendus célèbres par les toiles de Monet. Des milieux écologiques diversifiés abritent plusieurs espèces rares. Dans la plaine alluviale, ils sont issus des « remises en état » du paysage, après son bouleversement par l’exploitation des granulats durant plusieurs décennies : bois de feuillus, de résineux, landes, pelouses, … Sur les coteaux, ils sont liés à une gestion agro-écologique des pelouses calcaires, après l’enfrichement lié à l’abandon des parcelles de vigne, de vergers et de l’agropastoralisme. L’urbanisation, bien que modeste, occupe des sites délicats, qui se fragilisent en s’allongeant à l’excès ou qui débordent sur les hauteurs en lotissements standardisés.
Situation
Ce sont les hauts coteaux boisés de la Seine, dans les séquences concaves des boucles, qui dessinent les principaux horizons du paysage : coteaux de Rolleboise et de Jeufosse en rive gauche, de la Roche-Guyon en rive droite, marqué par les taches blanches de ses pinacles de craie à silex. A l’aval, la vallée de l’Epte, bordée par son haut coteau de Gasny à Giverny, marque la fin de la séquence des boucles, avant celle de Vernon (Eure). Elle constitue la frontière géographique et historique entre le Vexin français et le Vexin normand et marque aujourd’hui à la fois la limite des Yvelines et de la région Ile-de-France. A l’amont, l’urbanisation de Mantes-la-Jolie s’interrompt brutalement, laissant Rosny-sur-Seine encore préservé face à Guernes, séparé de l’agglomération mantoise par une courte séquence boisée (bois de la Butte Verte, bois des Garennes, …). Les coteaux de la Seine, relativement doux, cadrent encore le paysage. Ils restent proches de la Seine entre Dennemont et Guernes, et sont plus éloignés mais pas moins élégants en rive droite, déroulés de Buchelay à Rosny. Entre Dennemont et Vétheuil, ce sont les hauteurs du Bois du Chênay et de Follainville-Dennemont qui basculent sur la Seine, avec Saint-Martin-la-Garenne au pied. L’ensemble est essentiellement desservi par le sud, avec la RD 113, l’A13 et le train, laissant l’intérieur des boucles d’autant plus préservé qu’aucun pont ne franchit la Seine entre Mantes et Bonnières.
Unités de paysage locales :
La vallée de la Seine de Mantes-la-Jolie à Rosny-sur-Seine, et ses coteaux
La boucle de Guernes
La boucle de Moisson
Le méandre de Bennecourt
La vallée de l’Epte
Les hauteurs de Bonnières-sur-Seine
Le coteau de Rolleboise
Le coteau de Jeufosse
Le coteau de la Roche-Guyon
Le coteau de Saint-Martin-la-Garenne
Caractéristiques paysagères, repérage d’enjeux
Un grand paysage fluvial préservé
A l’aval de Mantes-la-Jolie, l’urbanisation de la vallée de la Seine s’interrompt brusquement. En se courbant en deux boucles successives, celles de Guernes et de Moisson, auxquelles s’ajoute le profond méandre de Bennecourt, la Seine semble avoir pris dans ses nasses un grand paysage fluvial préservé, épargné par la pression de l’urbanisation parisienne. Le train l’a oublié en passant en rive gauche dès l’amont de Limay ; l’autoroute A13 l’ignore en restant à distance au sud ; aucun pont ne franchit le fleuve de Mantes à Bonnières, celui de la Roche-Guyon ayant eu une éphémère existence de cinq ans, inauguré en 1935 et détruit en juin 1940, jamais reconstruit. Si Rosny-sur-Seine et Bonnières-Freneuse en rive gauche ont grossi en bénéficiant du train et de la proximité de l’A13, les autres communes sont restées des villages paisibles à proximité immédiate de la Seine, ou de l’Epte. Chaque boucle constitue ainsi un bout du monde, apprécié comme tel par les visiteurs touristes, pêcheurs, randonneurs ou sportifs.
De longs coteaux boisés en courbes, marquant les horizons
La Seine a creusé de longs coteaux en courbes amples, aujourd’hui boisés, qui prennent des caractères contrastés selon leur orientation : en rive gauche, les coteaux de Rolleboise et de Jeufosse, orientés vers l’est ou le nord, hauts, raides et boisés, composent un paysage fluvial plutôt sévère, couvrant la Seine de leur ombre ; à l’inverse le long coteau de la Roche-Guyon, qui court en rive droite de Saint-Martin-la-Garenne à Bennecourt, est orienté globalement vers le sud ; il porte une végétation plus rase, plus claire, et laisse surtout apparaître la remarquable falaise de craie blanche du crétacé, la plus ancienne couche géologique perceptible de la région Ile-de-France : ses pinacles lumineux qui trouent la toison végétale annonce la Normandie et, modestement, préfigurent déjà le monument naturel que formera cette même craie à silex lorsqu’elle rencontrera la mer, du Havre à Etretat. De l’intérieur des boucles, ces coteaux composent les horizons du paysage.
Il faut y ajouter les très élégants coteaux qui courent de part et d’autre de la Seine entre Mantes-la-Jolie/Dennemont et Rosny-sur-Seine/Guernes. Moins abrupts, ils accueillent des bois mais aussi des champs incurvés qui finissent par se fondre dans la plaine alluviale. On les retrouve encore épargnés par l’urbanisation au-dessus de la RD13 lorsqu’elle coupe la boucle de Moisson. Toutefois, cette urbanisation tend à se développer en remontant sur ces coteaux, charpente sensible du paysage.
A la hauteur de Gommecourt et la Roche-Guyon, les deux cours d’eau de la Seine et de l’Epte se retrouvent parallèles à quelques centaines de mètres de distance l’un de l’autre, ne laissant qu’un "isthme" étroit et spectaculaire entre eux, composant un site remarquable.
- Mesurer l’impact paysager de l’urbanisation sur les rebords hauts des coteaux dans les décisions d’aménagement.
- Préserver la singularité paysagère de la confluence Seine/Epte.
Des vues « géographiques » sur le grand paysage
Les coteaux de la Seine se sont largement boisés au cours des dernières décennies, par suite de l’abandon de l’agropastoralisme, de la vigne et des vergers. Aussi les vues sont-elles comptées. Lorsqu’elles se dégagent, elles révèlent un grand paysage véritablement géo-graphique, parmi les plus intéressants du département : on y voit la Seine, sillonnée par les longues péniches souvent chargées du sable extrait des carrières, les champs qui s’allongent au fil de l’eau en occupant les secteurs inondables, l’urbanisation qui s’allonge prudemment à distance de l’eau, les forêts, landes et champs qui se partagent l’espace de l’intérieur des boucles, le coteau enfin qui referme la scène en se courbant longuement sur la rive concave opposée. Tout est précisément à sa place dans ce paysage fluvial, offrant à lire de façon évidente à la fois sa simplicité et sa grandeur.
- Mettre en valeur le coteau de Rosny à Buchelay par des circulations douces.
- Développer les points de vue pédagogiques sur le paysage fluvial remarquable.
- Reconquérir des ouvertures visuelles, notamment dans les hauts de Rolleboise, envahis par les arbres.
Des bords de Seine calmes et intimes
Epargnés par les grandes routes, sauf à Rolleboise et à Jeufosse où passe la RN 13, les bords de Seine offrent le charme de petites routes ou de chemins sans fréquentation importante. L’intimité des lieux est renforcée par la présence des îles et des petits bras, qui enrichissent le paysage et les milieux en les complexifiant. Ponctuellement, la Seine dégage des points de vues culturels magnifiés par la silhouette d’un village sur la rive opposée. Les plus célèbres sont ceux de la Roche-Guyon, flanqué de sa tour et de son château, et de Vétheuil, épanoui en bord de Seine à la faveur d’un affluent, et immortalisé par Monet depuis Lavacourt. Ce territoire d’exception concentre un potentiel touristique l’ouvrant sur la Normandie.
Dans le fond de la plaine alluviale, la topographie fine des terrasses organise la répartition du bâti et des espaces agricoles à proximité du fleuve, composant un paysage subtil comme à Freneuse. De grands équipements de loisir occupent également les boucles : base de loisirs, golf, campings…..
- Développer une continuité de circulation douce en bord de Seine.
- Gérer la ripisylve en faveur de points de vue sur les sites clefs.
- Favoriser la découverte du paysage par voie fluviale.
- Améliorer la qualité paysagère des limites des grands équipements de loisir.
Un paysage riche en milieux écologiques variés, par endroits entièrement recréés
Bien que le paysage des boucles de Guernes et de Moisson paraisse préservé aujourd’hui, il a connu de profonds bouleversements avec l’exploitation des carrières de granulats. Démarrée à échelle industrielle à partir des années 1960, cette exploitation a conduit au bouleversement de 800 ha sur la boucle de Moisson : coupe de bois et disparition de terres agricoles, coupures des chemins de halage, création de ballastières, de chenaux de raccordement à la Seine, édification de tapis roulants, etc. Les fins d’exploitation se sont traduites par des réaménagements à grande échelle, comme la création de la base de loisirs de Moisson-Mousseaux sur 350 ha, dont 120 de plan d’eau. Mais les « remises en état » ont aussi donné lieu à des recréations de milieux écologiquement riches, notamment avec l’ouverture de la réserve naturelle régionale de la boucle de Moisson, sur 316 ha, gérée par l’Agence des Espaces Verts de la région Ile-de-France. Une mosaïque de forêts de feuillus (dont le chêne tauzin), de résineux, de landes et de pelouses accueille des espèces rares en Ile-de-France comme l’œdicnème criard, la pie-grièche écorcheur, l’alouette lulu et l’engoulevent d’Europe.
A ces milieux sableux de l’intérieur de la boucle s’ajoutent les milieux des coteaux, non moins riches avec leurs pelouses calcaires raides et ensoleillées, qui abritent des espèces thermophiles, d’inclination méditerranéenne. Ainsi la réserve naturelle nationale des coteaux compte 470 espèces végétales, dont 14 protégées : astragale de Montpellier, cheveux de Vénus (Stipa), phalangère à fleur de lis, mélique ciliée, orchis pyramidal, … Les visiteurs patients ou chanceux pourront aussi observer la pie-grièche écorcheur, le faucon hobereau, ou le papillon bleu Argus. Cette richesse biologique étant dépendante du maintien de milieux ouverts, la gestion fait appel à la fauche, ainsi qu’au pâturage de moutons et de chèvres.
Au fond de la vallée de l’Epte, le marais de Gommecourt sert également de réservoir biologique, de halte migratoire et d’écrêteur de crue, grâce à ses roselières, mégaphorbiaies et forêts humides qui se mêlent aux anciennes peupleraies.
- Maintenir sur le long terme la gestion des pelouses calcaires, paysages originaux et typiques.
- Favoriser les prairies humides en bord de Seine et dans la vallée de l’Epte.
- Valoriser les anciens bras de Seine, aujourd’hui enfrichés et confidentiels.
- Remettre en valeur le patrimoine hydraulique de la vallée de l’Epte.
De précieux espaces agricoles en cœur de boucle et sur les rives
De façon beaucoup plus étendue que les milieux écologiques des landes et des pelouses, les espaces agricoles garantissent les vastes ouvertures qui révèlent les grands paysages de la vallée. Ils s’offrent en trois grandes poches dans chacune des boucles de Guernes, de Moisson et de Bennecourt ; ils s’allongent par ailleurs en bords de Seine, souvent sur une seule largeur de parcelle, occupant les terres inondables et maintenant à distance l’urbanisation linéaire de Mousseaux-sur-Seine, de Saint-Martin-la-Garenne/Sandrancourt, de Freneuse, de Tripleval et de Bennecourt/Villez.
Dans l’intérieur des boucles, on peut encore lire le parcellaire en "lames de parquet", qui s’épanouissait en éventail, dans certaines structures paysagères : chemins, boisements, bosquets, fossés. Les champs eux-mêmes ont perdu cette organisation précise vis-à-vis du fleuve et de la topographie en étant remembrés.
- Composer des transitions paysagères entre les zones d’activités et les champs.
Des sites bâtis fragiles
L’urbanisation du secteur est surtout développée en rive gauche, avec Rosny-sur-Seine et Bonnières-Freneuse, qui bénéficient à la fois du train, de la RD 113 et de la proximité de l’A13. A Bonnières-sur-Seine, cela a pu conduire à de récentes extensions en crête au-dessus de la RD 113 peu discrètes dans le paysage, ainsi qu’à une conquête disparate de l’espace agricole par les activités. A Rosny, l’espace de respiration est devenu court et fragile avec Mantes-la-Jolie, dont les silhouettes du Val Fourré et de la zone industrielle marquent le grand paysage.
Quelques villages composent des sites bâtis de qualité, en étant légèrement perchés au-dessus de l’eau, comme Guernes, Saint-Martin-la Garenne ou, dans le Val d’Oise, Vétheuil.
Les autres villages, souvent contraints par le coteau ou la falaise, se sont naturellement allongés au fil de l’eau. A Méricourt et Mousseaux-sur-Seine, les maisons, pour certaines troglodytiques, masquent les courtes falaises de craie, par endroits creusées d’anciennes boves, qui servaient autrefois à l’entreposage du vin et aujourd’hui aux garages ou comme pièces supplémentaires. Ces extensions linéaires, sans cachet architectural particulier, tendent à faire disparaitre les espaces de respiration entre villages : Rolleboise-Méricourt-Mousseaux, Bonnières-Freneuse, Limetz-Villez-Bennecourt, Bennecourt-Jocourt-Tripleval. Les extensions sur les terrasses hautes de l’intérieur des boucles, récentes, s’opèrent sous forme de lotissements qui tendent à faire disparaître les vues dominantes sur le fleuve. C’est le cas notamment à Mousseaux-sur-Seine, Méricourt, Rolleboise.
- Composer des transitions paysagères entre les lotissements et les champs.
- Dégager des points de vue sur la Roche-Guyon et sur le château de Rosny-sur-Seine.
- Améliorer la qualité paysagère des berges de Seine dans les centres-bourgs.
- Valoriser le patrimoine architectural et paysager des falaises habitées (maisons troglodytiques) .